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Hommage à 

Emmy Spozio

7 septembre 1942 - 16 décembre 2023

Une chanson qu'elle aimait

Remerciements 

Chères amies et chers amis,

Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude pour vos témoignages de sympathie, de soutien, et les souvenirs partagés, empreints de beaucoup d'émotions.

 

Le 19 décembre dernier, sa famille et ses proches ont célébré sa vie, exceptionnellement riche et épanouie, en retraçant son parcours sur trois continents, avec des anecdotes amusantes et des images visionnées avec tendresse.

 

Emmy a marqué chacun de nous par sa philosophie de vie lumineuse, source infinie de positivité et d'amour, leçon de sérénité et de tolérance. Par sa vitalité incroyable et son énergie rayonnante, jusqu'au dernier moment, elle nous rappelait l'importance de profiter de chaque instant. Elle fut un modèle de générosité et de bienveillance.

 

Ne soyons pas tristes et honorons son héritage en continuant à embrasser la vie avec la même joie qu'elle incarnait si merveilleusement.❤️

Avec profonde gratitude,
la famille d'Emmy

"le train de ma vie"

par Jean d’Ormesson

A la naissance, on monte dans le train et on rencontre nos parents.
Et on croit qu’ils voyageront toujours avec nous.
Pourtant, à une station, nos parents descendront du train,
nous laissant seuls continuer le voyage…
Au fur et à mesure que le temps passe,
d’autres personnes montent dans le train.

Et ils seront importants : notre fratrie, amis, enfants,
même l’amour de notre vie.
Beaucoup démissionneront (même l’amour de notre vie)
et laisseront un vide plus ou moins grand.
D’autres seront si discrets
qu’on ne réalisera pas qu’ils ont quitté leurs sièges.
Ce voyage en train sera plein de joies, de peines, d’attentes,
de bonjours, d’au-revoir et d’adieux.
Le succès est d’avoir de bonnes relations avec tous les passagers
pourvu qu’on donne le meilleur de nous-mêmes.
On ne sait pas à quelle station nous descendrons.
Donc vivons heureux, aimons et pardonnons !
Il est important de le faire, car lorsque nous descendrons du train,
nous devrions ne laisser que des beaux souvenirs a ceux qui continuent leur voyage…
Soyons heureux avec ce que nous avons et remercions le ciel de ce voyage fantastique.
Aussi, merci d’être un des passagers de mon train.
Et si je dois descendre à la prochaine station,
je suis content d’avoir fait un bout de chemin avec vous !

Sa vie débute en Indonésie, sur l'île de Java.
Puis passe par les Pays-Bas pour ensuite arriver en Californie. 

Emmy est née sur l'île indonésienne de Java, le 7 septembre 1942, d'un père hollandais et d'une mère d'origine indonésienne.  

Son prénom n'était pas Emmy, mais Emma ! 
Pour être vraiment complet, elle s'appelait Emma Augustina Geertruida Maria Heyman.
  
Elle fut l'avant-dernière d'une fratrie de 9 enfants. Elle ne comptait qu'une sœur et a dû se "battre" avec 7 frères. Tous de grands Hollandais, très sportifs et footballeurs, avec qui elle partageait la passion et la pratique de ce sport.  
Son premier jeu de balle était donc le foot.  
Et ses deux langues maternelles, le Hollandais et le javanais.  
  
À l'époque, l'Indonésie était encore une colonie hollandaise.  
Mais en 1950, elle devient indépendante suite à la révolution. Cet événement les amène à rejoindre les Pays-Bas, non pas en train, mais par bateau. À l'époque un voyage de plusieurs mois.  
  
C'est là, aux Pays-Bas ou plutôt en Hollande, comme elle le disait, qu'elle a poursuivi sa scolarité obligatoire, sans jamais manquer un seul jour d'école pour cause de maladie nous disait-elle fièrement.  
De toute sa vie, je ne me souviens pas l'avoir vue malade.  
  
En 1961, son grand frère, qui travaillait dans la marine, découvre l'Eldorado de la Californie. Il motive toute la famille à s'y expatrier. Pas en bateau, ni en train, mais en avion. 

Elle y termine sa scolarité, en anglais, sa 3ème langue.  
 

De l'Indonésie à la Californie

LA rencontre et l'arrivée en Suisse.

Love me tender - Elvis

Et c'est là, en Californie, qu'en janvier 1962, sur son lieu de travail, est y croise un jeune Suisse qui était venu exercer ses talents de décolleteur.  
  
Il était aussi venu avec ses skis pour tracer quelques courbes sur les pentes enneigées des lointaines montagnes californiennes (si si, il y en a, juste à côté, à peine à 1 heure de route).  
  
Malheureusement, ce bel homme ne parle pas encore l'anglais ... mais l'allemand.  
Heureusement qu'au Pays-Bas l'allemand, finalement une langue pas trop éloignée du Hollandais, s'apprend à l'école. C'était ainsi sa 4ème langue.  
  
Elle ne peine pas à comprendre le mot "einladen", donc l'invitation que lui propose ce beau brun.  
Les voilà tous les deux embarqués dans un même train pour un très long voyage.  
  
Très vite, elle a souhaité présenter sa conquête lors d'une réunion de famille.  
20 personnes étaient toutes réunies dans la pièce principale lorsque son Roméo est entré. Revenant d'une journée à godiller sur la neige californienne, il avait aux pieds ses chaussures de ski (qui ressemblaient à des chaussures de marche en cuire épais). Arrivant à grand enjambé, sans doute pressé de voir sa dulcinée, il se prit les pieds dans le tapis pour terminer sa course à plat ventre au milieu de sa future belle-famille complètement médusée.  
  
Je vous laisse imaginer le vol plané et surtout l'atterrissage d'un prétendant déguisé en skieur au milieu de regard inquiet, puis amusé.  

 Suite au retour en Suisse de son futur professeur de ski, et certainement avec l'autorisation de ses frères, c'est en avril 1963 qu'elle le rejoint en Suisse pour la 1ère fois.  
Juste pour une semaine. 7 jours, mais seulement 6 nuits, précisait-elle !  
  
Ayant atterri à l'aéroport de Bâle, c'est par les gorges de Moutier qu'elle arrive en terre prévôtoise. C'est là ! S'exclama-t-elle avec effroi en apercevant le panneau Moutier.  
Vous n'y prêtez pas attention, mais chaque fois que je passe par là, j'y pense et continuerai de sourire à cette histoire.  
En effet, le panneau est placé à l'endroit le plus étroit des gorges de Moutier. Franchement l'étroitesse du lieu à de quoi inquiété même les plus ouverts d'esprit quant à la perspective d'y élire domicile.  
  
Quelques mois plus tard, durant l'hiver 1963-1964, elle revient pour deux semaines. L'histoire ne précise pas, cette fois, le nombre de nuits.  
  
L'accueil se fait à nouveau à l'aéroport de Bâle. À l'époque, on attendait les passagers quasiment au pied de l'avion. Une attente longue, même très longue lorsque plus personne ne sort et que la passagère tant attendue n'apparaît pas. Poser un lapin à un chasseur serait un comble.  
  
Mais après bien des minutes interminables, voici mademoiselle qui pointe le bout de son petit nez. Après l'atterrissage, elle a pris le temps de se faire belle (ce qui n'était franchement pas nécessaire selon le témoin principal).  
  
Fin 1964, elle fait un nouveau voyage en Suisse, cette fois, il va falloir jouer stratégique pour ne plus la laisser repartir.  
  
Mais en cours de vol, son avion est en feu et doit se poser en catastrophe du côté de Terre-Neuve.  
Lorsqu'elle nous racontait cette histoire, nos questions étaient de savoir si elle avait eu peur. Sa réponse : non pas du tout. Sa philosophie était : à quoi bon s'inquiéter s'il n'y a rien à faire !  
Cette philosophie s'applique à des situations inverses. Elle nous disait aussi, à quoi bon s'inquiéter s'il y a une solution, il faut juste l'appliquer.  

Son amoureux, très impatient de la retrouver (on le comprend) était venu l'attendre à Amsterdam, dernière escale avant la Suisse. C'est là qu'il a appris la nouvelle de cet accident évité de justesse. Le télégramme l'informait d'une arrivée à 3 heure à Amsterdam, sans donner plus de précision. Sans information, ni numéro de téléphone, que la rencontre fut difficile à organiser. Finalement, l’amour allait faire le pont et permettre cette rencontre sur le tarmac de l'aéroport d'Amsterdam, ... il est bien 03:00 heure, mais du matin. Une fois sur le plancher des vaches - ou plutôt celui des tulipe de l'aéroport hollandais - il ne fallut, cette fois, pas attendre longtemps pour voir sortir de la carlingue un immense chapeau mexicain sous lequel se cachait la belle.  
   
À peine arrivée à Moutier, elle participe à son 1er entraînement en salle avec le club alpin. Elle entre sur le terrain en pleine partie de foot, réceptionne un ballon en l'air, fait un contrôle amorti orienté et d'un ciseau magistral maque un but sous le regard médusé de tous.  
D'ailleurs, croyant que "wife" (épouse en anglais) à été son surnom, tout le monde l'a appelé comme cela durant deux ans, alors que c'était le petit surnom doux normalement réservé à son chéri.  
Et puis ce fut la 1ère leçon de ski, au Graitery. Un faux plat pour commencer. Elle y pose ses skis et ... les regardent s'éloigner (à l'époque, il n'y avait pas de stopper).  
  
Quelques jours plus tard, elle monte sur les Raimeux en peaux de phoque par le Gore Virat, et doit franchir, en mode alpiniste, la grande corniche de neige qui donne accès au plateau sur lequel se trouve le chalet. Finalement, le train du jour fait halte à la 1ère ferme et c'est là qu'elle s'assoupira sur le « Kunscht » ou « poêle à banquette ».  
  
Puis tout s'enchaîne !  
La fameuse stratégie fonctionne à merveille. Emmy tombe enceinte.  
Le petit train de leur vie faire un arrêt à la grande gare du mariage.  

L'histoire raconte que c'est au milieu d'une partie de tennis qu'elle annonce à son futur mari : "je crois que je suis enceinte". Ce dernier s'adresse alors au Père Brahier, à l'époque missionnaire au Tibet, mais de retour pour quelque temps en Suisse. Ce dernier, vêtu de sa longue robe, est en train de faucher les hautes herbes dans le champ juste derrière les courts de tennis. Le futur couple lui demande de célébrer ce mariage pas comme les autres. 

C'est un 24 juillet 1965, en plein milieu des vacances. Il y avait urgence. La cérémonie se passe dans la très belle et moderne église de Vicques.   

  
Comme le disait ma grand-mère : ton père voulait marier une bonne skieuse ... il a fini par marier une femme qui n'avait jamais vu de la neige.  

L'arrivée en Suisse

La voilà maman, la plus jolie et gentille des mamans. 

Voilà le train reparti et toutes les anecdotes s'enchaînes.  
Par exemple, pour accueillir sa famille qui vient visiter son nouvel eldorado, elle aimerait les loger dans ce bel hôtel, avec toutes ses belles fleurs aux fenêtres, au milieu de Moutier.  
Heu ... mais non, ... ça c'est l'hôtel de ville.  
  
Elle voit aussi, cet été là, qu'un film est à l'affiche au cinéma du coin depuis 3 semaines. Il doit être bien, dit-elle. Son titre, c'est "Relâches".  
  
Mais les mois passent et la 1ère déferlante débarque le 21 octobre 1965 - Voici Nathalie.  
  
Suivi, moins de 11 mois plus tard - je n'ai pas compté en nombre de nuits - suivit donc de Patrick, le 26 septembre 1966.  
  
Quant au Tsunami, il arrive le 22 décembre 1967 et c'est Philippe la terreur.  
  
Ma sœur et moi avons de la chance de l'avoir comme petit frère. En effet, s'il avait été le 1er, mes parents n'auraient pas pris le risque de faire un 2ème enfant.  
Un oncle à qui j'ai lu ce paragraphe hier, a parlé de Monstre plutôt que de Tsunami.   
Mais au fil des années, c'est devenu un adorable poussin.  
  
Elle devient donc maman professionnelle tout en contribuant au fonctionnement de l'entreprise de son mari.  
Elle apprend le français en même temps que ses enfants.  
Le Français, est donc sa 5ème langue.  

Lorsqu'elle grondait en hollandais, on ne comprenait rien, mais on savait que c'était à prendre très au sérieux.
C'est aussi dans cette langue maternelle qu'elle nous chantait des comptines pour nous calmer ou nous amuser.
Cette coutume se perpétue, car aujourd'hui, ce sont ses arrières-petites-filles à qui on chante ses comptines.
Je me souviens qu'elle conduisait une voiture à la taille de sa grande famille, une MINI Cooper. Et à l'époque, elle portait très bien leur nom MINI. 
Lorsque le dernier d'entre nous a commencé l'école, nous avions craint qu'elle s'ennuie toute seule à la maison. Ce qu'elle nous a laissé croire pendant longtemps. 
Que dire de sa cuisine, tantôt hollandaise, tantôt indonésienne. 
On s’est régalé de satay, rouleaux de printemps, bami-goreng, poulet au soja et de sauce pimentée ou au beurre de cacahouète.  
Elle nous a fait découvrir plein de fruits exotiques, même les vendeuses de la Migros lui demandait des conseils pour savoir comment cela se mangeait. 
Près d'une fois par année, nous avions la visite de notre grand-mère de Californie. Comme nous avions un oncle qui travaillait chez Matel, elle venait avec 2 grandes valises pleines de jouets. Nous avons été parmi les 1er enfants de Suisse à avoir les nouvelle Barbie pour Nathalie et des circuits de voiture électrique pour les garçons. 

Une bien jolie maman

Une vie ultra-sportive.

Elle se met à pratiquer plein de sport différent : du tennis, du basketball, puis le volley-ball, qui va prendre une grande place dans sa vie. Mais aussi des sports plus Suisse comme du ski de fond, du ski alpin, du ski de randonnée  
  
Dans son équipe de volley : elle avait l'âge d'être la mère de toutes les joueuses de son team.  
  
En tennis, elle remporte plusieurs tournois et les championnats jurassiens en double dames avec la Nane.  
  
Professionnellement, elle travaille avec son mari et le soutien dans ses projets les plus fous. Et j'utilise ici des euphémismes, tant pour le mot "soutien" que pour le mot "fou".  
  
Cette aventure professionnelle est un voyage en lui-même. Mais pas dans un train, ni un train-train. C'est plutôt le grand 8 des montagnes russes de l'extrême. Le truc qui vous fait décoller la pulpe du fond et dont on ressort en titubant. Sauf elle ! Même pas peur.  
  
Comme si le labeur quotidien ne suffisait pas, comme si le sport quotidien n'était qu'un échauffement, les vacances devaient être SPORTIVES. Le truc que personne ne fait. Durant près de 2 décennies, les vacances rimaient avec trekking. Non pas la balade d'un jour. Mais le paquetage complet (15 à 23 kg) pour arpenter durant plusieurs jours, en autonomie complète, les Alpes ou les montagnes tessinoises.  
  
Mon frère et moi avons pu les accompagner quelques fois et nous en gardons des souvenirs incroyables. Notre sœur s'y est aussi mise, dans un autre style, un peu plus tard.  
  
Bon, il faut reconnaître que pratiquement chaque année, il y avait quand même une pause au milieu des vacances.  
  
Cette pause était nécessaire pour participer à Sierre-Zinal.  Elle y participera 6 fois et l'ultime fois à 60 ans. 
  
Ces vacances de trekking, sont ce qu'il y a de plus reposantes pour l'esprit. C'est une véritable quête de l'essentiel. Chercher son chemin, trouver de l'eau et un terrain plat pour la nuit, manger ce qu'il y a, un bout de fromage, du pain sec, dormir sur un mousse de 5 millimètres, attendre que les 1ers rayons du soleil réchauffent la tente pour sortir de son sac de couchage. Mais c'est aussi se retrouver au milieu d'un orage tessinois, avoir des impacts de foudre à quelques mètres de soi et gérer son vertige. Et l'Emmy faisait tout cela avec le sourire - sauf pour le vertige, sans doute un héritage hollandais.  

Poly-sportive accomplie